Thème: Marchés Publics et Qualité de la dépense pour la pérennisation des grandes réalisations
SOUS THEME : Marchés Publics et Qualité de la dépense pour la pérennisation des grandes réalisations.
Présenté par :
MBEUTCHA Thomas
Conseiller Technique n°1 à l’ARMP
I-INTRODUCTION
Les marchés publics constituent le moyen par lequel l’Etat et ses démembrements réalisent des travaux ou des études et acquièrent des biens et des services.
Ainsi, le système des marchés publics apparaît comme l’instrument qui permet la transformation du potentiel financier (Budget) d’un pays en infrastructures et équipements sociaux (routes, écoles, hôpitaux…). C’est donc un vecteur essentiel de lutte contre la pauvreté et un moyen important pour l’amélioration des conditions de vie et du bien être des populations.
A titre d’illustration, le volume des marchés passés au Cameroun sur la base des informations disponibles à l’ARMP représentent en 2010, 661,2 milliards de FCFA pour 5 461 contrats et en 2011 (au 31/octobre/2011) 490,2 milliards de FCFA pour 3774 contrats répartis comme suit :
2010 | 2011 | |||
Nombre | Montant (Milliards) | Nombre | Montant (Milliards) | |
Ministères et assimilés | 728 | 4 09,6 | 1 087 | 126,84 |
MOD (pour les crédits délégués) |
1 680 | 50,58 | 994 | 28,33 |
EPA, CTD et Projets | 3 053 | 201 | 1 693 | 335 |
TOTAL | 5 461 | 661,2 | 3 774 | 409,2 |
Le budget 2012 se chiffre à 2800 milliards avec plus du 792 milliards pour l’investissement notamment dans les grands projets structurants.
Pour que le Cameroun atteigne le stade de pays émergent à l’horizon 2035, les grandes réalisations doivent être pérennes, c’est-à-dire que les ouvrages réalisés doivent être conformes aux spécifications techniques et règles de l’art et garantir la durée de vie escomptée. Ceci passe par une bonne qualité de la dépense, elle-même tributaire d’une bonne maîtrise de la procédure de passation et d’exécution des marchés publics.
La question qui se pose est alors de savoir le degré d’influence du système de passation et d’exécution des marchés publics sur la qualité de la dépense.
Comme nous allons le voir, la qualité de la dépense est influencée en phase Programmation, Passation des Marchés et Exécution des Marchés.
Notre présentation va donc s’articuler autour de ces points tels qu’ils sont indiqués dans le sommaire.
II- OPERATIONS DES MARCHES PUBLICS INFLUENÇANT LA QUALITE DE LA DEPENSE
II-1 Programmation de la passation des marchés:
Une bonne qualité de la dépense sous l’angle des marchés publics commence par la passation de tous les marchés prévus au budget.
La programmation de la passation des marchés vise en effet à : (i) maîtriser les délais de passation des marchés ;
(ii) maîtriser le coût de fonctionnement des commissions (consommation rapide du budget de fonctionnement) ;
(iii) Garantir une consommation de tous les crédits prévus au budget
Une bonne programmation de la passation des marchés doit comporter également la période prévisionnelle de démarrage des prestations ainsi que le délai de réalisation, ce qui permettrait de connaître dès cette phase, les besoins en ressources répartis dans le temps.
La programmation de la passation des marchés permet également d’éviter les délégations tardives de crédits avec pour conséquences :
-la violation des procédures de passation et d’exécution des marchés dans l’optique d’éviter la forclusion du crédit;
-l’accroissement de la pression sur le trésor public en fin d’année.
Grâce aux actions menées par l’ARMP et le MINEPAT ces dernières années dans le cadre des conférences sur la programmation de la passation des marchés publics, la situation s’est beaucoup améliorée.
Le tableau ci-après illustre l’effectivité de la programmation des marchés en 2010 et 2011.
2010 |
2011 | |||
Nombre CPM actives | Nombre programme | Nombre CPM actives | Nombre programme | |
Ministères | 37 | 35 | 37 | 37 |
MOD | 68 | 68 | 68 | 58 |
Autres | 523 | 357 | 516 | 377 |
total | 628 | 460 | 621 | 472 |
En dépit de cette hausse du nombre de journaux de programmation et de leur qualité, le problème qui demeure est le respect approximatif et la non mise à jour régulière du chronogramme arrêté.
II-2 Phase de passation d’un marché public.
N° | Principales opérations | Responsables |
1 | Préparation du DAO :
– Etudes – – – |
– M.O.
– M.O.D. |
2 | Saisine de la Commission | M.O |
3 | Examen et adoption du DAO | C.P.M |
C.S.C.M | ||
4 | Lancement de la consultation | – M.O
– M.O.D |
5 | Préparation des offres | Soumissionnaires |
6 | Réception des offres | M.O |
7 | Ouverture des offres | C.P.M |
8 | Analyse des offres | C.P.M(S.C.A.O) |
9 | Examen rapport d’analyse et proposition d’attribution |
C.P.M |
C.S.C.M | ||
10 | Attribution et publication des résultats |
– M.O.
– M.O.D. |
11 | Mise en forme du projet de marché | – M.O.
– M.O.D. |
12 | Examen projet de marché | C.P.M |
13 | Signature du marché | – M.O.
– M.O.D. |
14 | Notification du marché | – M.O
– MOD. |
Dans cette phase c’est surtout au niveau de la préparation du Dao, de sa validation et de l’attribution des marchés que la qualité de la dépense peut être fortement influencée à travers :
- les quantités mal estimées, entraînant des avenants ;
- les caractéristiques de l’ouvrage mal définies avec pour conséquence une durée de vie inférieure au seuil requis ;
- la présence de tous les membres de la commission permet de réduire le risque d’adopter un mauvais DAO ;
- les modifications nécessaires à effectuer sur le DAO entraînent des rallonges de délais (réexamen) et surcoût sur le budget fonctionnement ;
- attribution du marché à une entreprise non en règle vis-à-vis des impôts et de la CNPS ;
- attribution à une entreprise ne remplissant pas les capacités techniques et financières requises ;
- évaluation subjective ou orientée des offres ;
- manipulation des offres par les membres de la sous-commission d’analyse.
II-3 Phase d’exécution d’un marché public.
ii) Du respect de délai de réalisation ;i) De l’effectivité des réalisations ;Au niveau de la phase d’exécution, six(06) principaux indicateurs permettent de juger la qualité de la dépense. Il s’agit :
iii) Du respect de délai de paiement ;
iv) De la conformité des prestations ;
v) De l’importance des avenants ;
vi) De la disponibilité des documents.
Sur la base d’un échantillon de 364 marchés passés en 2010, l’analyse des quatre premiers indicateurs sus indiqués donne les résultats ci-après :
Nombres de projets | 364 | Pourcentage |
Effectivité réalisation des prestations |
328 | 90% |
Respect délai réalisation |
196 | 54% |
Respect délai paiement | 92 | 25,4% |
Conformité qualité des prestations |
264 | 72,4% |
I-3.1 Effectivité de réalisation des prestations
Le taux de réalisation effective des prestations est de 90%. Les 10% restants sont constitués de marchés résiliés, abandonnés, en retard excessif sans début d’exécution au moment de l’évaluation, ou des marchés restés sans suite.
Ce très bon taux obtenu doit être relativisé en tenant compte que l’échantillon retenu bien que représentatif, ne constitue que 10% de l’ensemble des contrats.
II-3.2 Respect des délais de réalisation
Le taux est de 54% ; Il apparaît que pratiquement la moitié des projets sont exécutés en retard.
Plusieurs causes sont à l’origine de ces retards :
- Non-paiement à temps des prestations ;
- Faible application des pénalités de retard ;
- Faible capacité technique et financière des entreprises ;
- Absence d’objectivité durant la procédure de qualification des soumissionnaires;
- Faible suivi de l’exécution par les services du Maître d’Ouvrage du fait surtout de l’absence des ressources.
II-3.3 Respect des délais de paiement
Le taux de 25,4% montre que le problème crucial au niveau de l’exécution des marchés publics reste le non-respect des délais de paiement. Il concerne toutes les catégories des Maîtres d’Ouvrage et est plus accentué au niveau de l’Administration publique.
Au niveau des crédits délégués ou des marchés de moindre envergure, le préfinancement par l’entreprise est devenu systématique et dans beaucoup de cas, il est prévu comme un critère d’évaluation et d’attribution, bien que les difficultés d’accès aux crédits et aux cautions bancaires par les entreprises soient de notoriété publique. Par ailleurs dans certains cas, le retard de paiement n’est pas lié à un manque de liquidité mais au problème de gouvernance.
En dépit de ce score relativement faible, il n’est apparu aucun marché où l’entreprise a bénéficié des intérêts moratoires.
Evidemment les conséquences sont nombreuses :
- Retard dans l’exécution;
- Abandon des projets;
- Mauvaises qualité des prestations;
- Asphyxie ou faillite de certaines entreprises;
- Augmentation de la corruption.
II-3.4 Conformité de la qualité des prestations
Le taux de 72,4% est très flatteur et pourrait s’expliquer par le fait que la plupart des marchés de l’échantillon sont assujettis au contrôle par une maîtrise d’œuvre privée.
- Pour les marchés des travaux de moins de 100 millions, le suivi et le contrôle sont exercés par les services internes aux Maîtres d’Ouvrage qui sont souvent mal organisés et ne disposent pas de ressources financières.
- Le non-paiement à temps des décomptes entraîne le préfinancement des travaux par les Entreprises qui sont amenées quand elles ne sont pas suivies, à relâcher au niveau de la qualité des prestations et des quantités.
II-3-5 Importance de la modification pendant l’exécution (Avenant)
L’une des innovations majeures du CODE porte sur la limitation du montant des avenants à 30%.
Cette disposition depuis son entrée en vigueur est respectée, et l’importance des avenants aussi bien en nombre qu’en montant reste faible par rapport au volume des marchés attribués, comme il ressort des tableaux ci-après
tableau 6
tableau 7
II-3-6 Maîtrise de la documentation
Le manque de traçabilité des procédures illustré par un fort taux de carence documentaire est de nature à hypothéquer la qualité de la dépense
Le tableau ci-après illustre la situation de la collecte en 2009 et 2010
tableau 8
Parmi les causes qui expliquent cette situation, on peut citer :
- La dispersion des points de production de ces documents ;
- La non production systématique des documents par les acteurs ;
- Le faible suivi de l’exécution des marchés par les services internes des maîtres d’ouvrage ;
- L’ignorance des dispositions réglementaires relatives à la transmission des documents d’exécution à l’ARMP.
Les conséquences sont nombreuses pour le système :
- Faible régulation de la phase d’exécution(les requêtes et avis techniques sont traités avec retard)
- Difficultés dans l’audit des marchés fragilisant de ce fait le contrôle a postériori
- Difficulté à élaborer le rapport annuel sur l’efficacité et la fiabilité du système.
III GOUVERNANCE ET PERSPECTIVE
III-1 Gouvernance
La corruption et la mal gouvernance demeurent des fléaux qui gangrènent notre pays et impactent négativement la qualité de la dépense publique.
Ces actes sont imputables à tous les acteurs du système des marchés publics et interviennent à toutes les étapes.
On peut citer entres autres :
- l’élaboration des critères d’évaluation des offres en fonction des performances de certains potentiels soumissionnaires ;
- la préparation des offres des soumissionnaires par les agents de l’administration impliqués dans la procédure de passation ou d’exécution des dits marchés ;
- l’évaluation subjective ou orientée des offres avec parfois des manipulations d’offres ;
- l’attribution en violation des critères prévus dans le DAO ;
- les chantages et autres marchandages dans la procédure d’approbation de décomptes, de paiement des prestations et de réception des marchés ;
- le refus de sanctionner les entreprises défaillantes ;
- la réception des prestations non exécutées ou non conformes au marché.
III-2 Perspective
A la faveur du décret N°2011/ 408 du 09 décembre 2011 du chef de l’état, un ministère des Marchés Publics a été créé. Ce ministère, placé sous la tutelle de la présidence de la République, lance les appels d’offres, passe les marchés et contrôle l’exécution sur le terrain. Ce texte ouvre en fait une nouvelle réforme du système des marchés publics. Un comité a été mis en place pour arrêter les contours du nouveau dispositif. Un projet d’organigramme du MINMAP a été élaboré, ainsi qu’un avant projet de décret sur les commissions de passation des Marchés.
De manière générale, le nouveau dispositif devra mettre l’accent sur l’allègement des procédures et la célérité en vue d’accroître considérablement le niveau de consommation de crédits prévus.
En somme, il s’agira d’améliorer la qualité de la dépense publique.
IV-CONCLUSION
Nous avons vu que la qualité de la dépense publique est tributaire des opérations effectuées et des actes posés aussi bien en phase programmation qu’en phase passation et exécution des marchés.
Notre conclusion va porter sur les recommandations en vue d’obtenir une meilleure qualité de la dépense publique :
- prévoir au niveau de la programmation un échéancier des besoins en ressources ventilés suivant les périodes de réalisation et communiquer aux payeurs ;
- veiller au respect de la programmation en vue d’une meilleure répartition des paiements du Trésor le long de l’année ;
- établir un échéancier de paiement lors de la délivrance de l’ordre de service de démarrage des prestations et le communiquer au payeur ;
- transmettre systématiquement une copie du contrat signé aux impôts et au payeur en vue d’une meilleure mobilisation des ressources ;
- payer les prestations dans les délais prévus ;
- allouer les ressources suffisantes aux personnels de suivi et de contrôles de l’exécution des marchés ;
- Informatiser le traitement des dossiers au niveau des contrôles financiers, comptables matières, comptables chargés des paiements de manière à ce que les factures et mandats soient traités sur la base du principe du 1er à l’entrée 1er à la sortie ;
- mettre en place un mécanisme de péréquation qui permet de ravitailler les différents postes comptables afin d’harmoniser les délais de paiement sur l’ensemble du territoire ;
- accroître la lutte contre la corruption dans le système des marchés publics notamment dans le circuit des paiements ;
- améliorer le dispositif répressif et appliquer systématiquement les sanctions prévues ;
- étudier la possibilité de créer un guichet pour le paiement des prestations des marchés publics.